Découvrez les foulées du Magara de Tunisie dans la rubrique évasion grâce au récit imagé de Brice !


Evasion

Ici ou ailleurs : cette rubrique vous est réservée ! Elle vous permettra de partir à l'aventure, hors des sentiers battus donc, à travers les récits de coureurs de la région qui sont en quête d'horizons nouveaux. Ce sera donc l'occasion de faire vos valises et de découvrir des contrées lointaines... et pourquoi pas de vous laisser tenter à votre tour. En tout cas n'hésitez pas à nous faire part de vos témoignages avec quelques photos à l'appui. Embarquez avec nous dans la rubrique "évasion!". Comme une invitation au voyage.


Les foulées du Magara, balade dans un jardin carthaginois !

 

 

A peine sorti de l’aéroport de Tunis, aveuglé par la lumière, le visiteur prend tout de suite conscience de la chaleur ambiante. Même voilé, le ciel inonde d’ombres blanches l’étendue du décor. Ici le bleu et le blanc s’unissent. Dans la poussière ambiante, le trafic s’écoule sur de larges voies. Tout est clair, éclairé. Une autoroute, des habitations cubiques, blanches, éblouissantes, à perte de vue. Des immeubles, à quatre, à six étages, guère plus. Pas de gratte-ciel. Des terrasses, des  paraboles, du linge qui sèche, de gros placards publicitaires en arabe, en français, en anglais. Une zone industrielle, des palmiers, une mosquée. Le taxi nous emmène, il prend la direction de Carthage, nous achemine à la Marsa, dans les faubourgs carthaginois, au cœur des mégaras, des jardins carthaginois. De là, des siècles nous contemplent. La Marsa, entre Tunis et Carthage, illustre station balnéaire tunisienne, est aujourd'hui une banlieue huppée regroupant de nombreuses résidences d'ambassadeurs, de luxueuses villas, de chics hôtels. Au-delà des collines, la mer, bleue. La plage est belle. La ville possède encore de nombreux sites archéologiques, romains pour la plupart, classés au patrimoine mondial de l'Unesco. Les bâtiments séculaires qui bordent la baie confèrent au cachet. Beauté des cartes postales. C’est beau, c’est très beau. Depuis le printemps arabe dernier et la fuite du président Ben Ali, un vent léger souffle sur la jeunesse. Un pas a été franchi. Les choses évoluent. Une nouvelle ère débute. Les tunisiens restent des gens charmants, mesurés, accueillants. Les événements ont certes quelque peu effrayé les touristes prudents. On y revient. Il fait toujours aussi bon aller en Tunisie. Les foulées du Mégara. Un semi marathon réservé aux coureurs entrainés ou une course populaire de cinq kilomètres pour les plus néophytes. Riadh Ben Zazia préside avec brio l’association « Mégara pour la Jeunesse » et coordonne l’organisation de l’épreuve. Après l’impasse en 2011, l’épreuve renait cette année pour la quatrième édition. L’équipe d’une centaine de bénévoles est maintenant rôdée. Un succès croissant. Près de deux mille coureurs se sont réunis sur les deux courses, près de huit cents sur le semi. Du bon gratin. L’élite du sport tunisien. Des Marocains, des Algériens, des Européens, des Américains. Au-delà de l’exploit, de la performance, subsistent de maitres mots, la convivialité, les échanges, la fraternité, le dépassement de soi. Ici, pas de frais d’inscription. Il est difficile de concevoir, pour un Tunisien confronté aux difficultés économiques de son pays, de devoir s’acquitter de telles dépenses. Pourtant, avec le concours de précieux sponsors, l’organisation, grandiose, a pu se mettre en place, s’exécuter, brillamment. Un tee-shirt a été offert à l’arrivée tous les participants. Ce fuit une très grande fête. Et, au comble, la course fut sublime. Une bien jolie épreuve. Fouler les mégaras. Un départ donné sur la promenade, face à la mer. Prisée par les diplomates, les ambassadeurs de France et des Etats-Unis sont participants de l’épreuve reine. Il faut au peloton dense qui s’étire dès les premiers hectomètres emprunter les boulevards, parcourir une large boucle de la ville. De longues lignes droites, une visite pédestre des principales artères, l’ascension répétée des collines, des pentes douces, des descentes répétées vers le front de mer. Quinze nationalités sont représentées, des maillots de toutes les couleurs, bigarrés. Des hommes et des femmes élancés que tout unit. D’un premier échange avec un Américain, vous partagez vos foulées aux mêmes pas cadencés que quelques coureurs locaux. Un Allemand se joint au groupe. Le groupe se scinde. Certains lâchent prise. D’autres accélèrent, faussent votre compagnie. Le train emporte votre propre foulée. Tous s’unissent dans le même effort. L’osmose prit. Un semi marathon international est toujours  grand moment. Devant… Peu ou prou de temps pour admirer le rivage ou le céleste décor. Lakdar Hachani, Mosba Lagha et Med Ali Gmati se taperont une bourre, sans tergiversations, à un rythme effréné. Lakdar vainc sans sourciller. Il clôt le semi en 1h02’50’’, un chronomètre bien remarquable et remarqué au regard de la difficulté du parcours. La première dame, Safa Aissaoui gagne en 1h16’31. Des performances dignes de l’élite mondiale. Mais qu’importe le classement, l’essentiel était partie prenante de la fête, une liesse populaire, de tous âges, dynamique, tunisienne, internationale, heureuse d’être là, d’avoir couru et foulé le mégara.

Texte Brice de Singo.


Grand raid de la Réunion : faut-il vraiment être fou ?

 

 Mais que recherchons-nous en nous inscrivant à une épreuve comme le Grand Raid ? La souffrance, la douleur, l’introspection… ou tout simplement cette immense joie d’y être arrivé ? Allez savoir vous… Car ils ne sont pas si nombreux finalement à « avoir survécu » cette année encore. Moins de la moitié. Plus de 50% d’abandons. C’est énorme… C’est à tout cela que je pense en m’engouffrant dans une petite tente dressée à Foc Foc, du côté du Volcan sur l’Ile de la Réunion, au premier ravitaillement de l’épreuve. Vers le 20ème kilomètre. Il est 2h du mat. Il ne fait même pas 4°C à plus de 2000 mètres d’altitude. Et oui à la Réunion aussi il peut faire froid. Et en essayant de me réchauffer un peu, en réajustant mon petit k-way qui ne semble pas devoir me servir à grand-chose, je me rends compte que je ne suis pas le seul dans ce cas-là. Loin s’en faut. Je dois être classé dans les 300 ou 400 mais déjà les gars s’enfoncent dans les quelques couvertures mises à disposition. Les hypothermies sont nombreuses. Les abandons commencent déjà. Sébastien Chaigneau sera le premier à jeter l’éponge. Mais pour d’autres raisons… Je me réchauffe avec un thé bien chaud. Le médecin sur place annonce 35,5°C. Non, pas dehors, mais bien sur un coureur qui ne fait pas beau à voir. Et dire que cela ne fait que quatre heures que l’on est parti… Que va-t-il se passer un peu plus loin ? Et demain ? De toute façon, même si la forme est loin d’être au rendez-vous cette année pour moi, au moins là, je n’ai pas le choix. Il me faut continuer sur le prochain point. Au grand ravitaillement du Volcan… Je n’ai plus qu’une solution : me remettre à courir le plus vite possible pour faire remonter ma température corporelle. Cela a l’air de fonctionner. Je me réchauffe assez vite. J’arrête de trembler de partout. Mais je me fatigue du coup encore plus vite. Ah sacré Grand Raid, c’est mal parti. Mais qu’est-ce qui m’a forcé à m’inscrire cette année encore ? En fait c’est ce que tout traileur au départ doit forcément se dire à un moment ou à un autre de son périple réunionnais. Il ne peut en être autrement. Chaque année, le bilan est le même. Chaque année la difficulté semble augmenter. Et les organisateurs d’y prendre un certain plaisir. « Nous assumons totalement nos choix » explique à qui veut l’entendre Robert Chicot, le grand patron. « Nous savons pertinemment que la course est dure. Mais chacun doit en avoir conscience avant de partir et se préparer en conséquence… » Alors tous les ans, c’est le même débat. Pourquoi toujours plus long ? Pourquoi toujours plus haut ? Cette épreuve qui se bouclait, il n’y a pas si longtemps, en moins de 20h pour le vainqueur, ne peut s’envisager, ou rarement en moins d’une journée totale. Il faut un tour entier d’horloge et donc une nuit blanche pour s’en sortir. Mais du coup cela rallonge tous les autres temps de passage pour tous les concurrents. Il faut bien se rendre compte que quasi personne ne finit cette course en moins de 30h. Que plus de la moitié des inscrits n’y arrive pas… C’est tout simplement phénoménal. Presque trop…Surtout quand les conditions météos s’en mêlent. Je vous ai parlé ici du froid incroyable qui a régné dans les hauts de l’île, mais on ne peut pas ne pas parler de la boue qui aura joué son rôle de sape sur tous les organismes. Après Mare à Boue, dans la fameuse forêt de Bélouve, celle que plus personne ne pourra désormais envisager de la même manière, les jambes se sont enfoncées jusqu’à mi-mollet, parfois jusqu’au genou. Tout le monde aura glissé, sera tombé plus d’une fois. Et dire que l’organisation avait proposé un moment de zapper ce passage pour glisser vers une belle solution de rechange, du côté de la route forestière qui borde le sentier. Il n’en fut rien donc. Surtout ne pas rendre le tout plus facile. Comme un leimotiv à ne pas oublier. « Surtout que ça ne soit pas plus facile, ça se verrait ! »

Alors moi qui trottine encore du côté du Volcan, en pleine nuit, avec ma frontale pour seule compagne, je me suis trouvé quelques raisons. Si je suis là en ce moment, c’est avant tout pour vivre un moment d’exception, hors du temps. Le départ en fait partie. Il marque les esprits pour une vie entière. Agglutinés des heures entières sur une zone de départ d’où l’on ne peut plus sortir, comme emprisonnés de nos émotions, on sent la pression qui monte de minute en minute. Comme palpable. On essaye de fermer les yeux pour prendre encore quelques instants de sommeil à la volée. Mais cela n’est pas évident, la musique est trop forte. On dit bonjour à quelques connaissances. On n’ose pas trop discuter non plus histoire de ne pas disperser ses forces inutilement. Et à moins d’une heure du coup d’envoi, tout le monde se met debout. Comme un seul homme. Les cordes qui nous bloquaient jusque-là ont été retirées. On s’agglutine vers le sas de départ. L’entrée du stade. Mais il reste encore une bonne heure. Pourquoi si tôt ? Les minutes s’égrainent sur une horloge géante. Les regards se croisent, les sourires sont timides, mais bien réelles. On devient tous plus humains. Il n’y a pas plus de frontières, de culture, de religions, ni de différences sociales. Le groupe musical local qui nous a enthousiasmé jusque-là stoppe soudainement. Plus que deux minutes. Le titre phare de la chanteuse Adèle que l’on entend sur les ondes un peu partout actuellement nous transperce le corps. J’ai des frissons. La chair de poule. Je pense aux miens. A ma compagne qui est déjà repartie et que je ne reverrais que demain soir. A ma fille de cinq ans qui est restée en métropole. Tout cela vous submerge d’un coup. D’un seul. Et à moins d’une minute de la libération, vous vous prenez à essuyer une larme. Cet instant est magique, éternel… inoubliable ! Comme une bouffée d’émotion à l’état pur. On est si petit face à la souffrance à venir. Merci Grand Raid pour ce moment qui n’appartient qu’à moi et qui, je suis sûr, ressemble à tant d’autres autour de moi. On frappe dans la main de son voisin. « Allez bon courage ! » Et c’est parti. Tout de suite à fond pour les premiers. Nous on piétine, on essaye de ne pas tomber. Ca crie de tous les côtés… La Diagonale des Fous vient de démarrer. Il est 22h précises. Qu’est-ce que je fais là ? Je suis donc dingue… La suite est encore à écrire…Il y a plein de petits moments comme celui-ci qui jonchent les sentiers que nous allons prendre durant 30h, 40h, 50h… Une parole échangée avec un coureur, un lever ou un coucher de soleil, un rire de bénévole, un encouragement d’un spectateur inconnu, quelques mètres aux-côtés d’un enfant qui court aussi, l’embrassade d’une grand-mère, un souvenir qui remonte à la surface, une musique qui trotte dans la tête. Et puis surtout l’arrivée et son flot d’émotions incontrôlées. Pour ceux qui terminent bien sûr ! C’est pour tout cela que l’on s’inscrit en fait. Et pour bien plus encore. Alors qu’importe qu’il soit plus grand, plus long, plus dur et j’en passe, puisque de toute façon le succès ne se dément pas et que cela fait plus de 20 ans que ça dure. Les gens qui rouspètent sont les premiers à vouloir s’inscrire l’année d’après. Côté compétition cette année, on aura assisté, du moins pour la tête de course, à deux courses dans l’une. Il y a eu tout d’abord les gars qui se sont battus pour la gagne. Ce fut donc un trio de tête composé de Julien Chorier, Pascal Blanc et Freddy Thévenin… Et puis derrière eux, un quatuor de poursuivants avec là Antoine Guillon, Michel Lanne, David Mussard et Lionel Trivel. Très vite ce schéma sera mis en place et tiendra bon jusqu’à quasiment l’arrivée. A ceci près bien sûr que dans le Taïbit, Julien en profitera pour se défaire de ses camarades et ne sera plus jamais inquiété. A ceci près aussi qu’après avoir joué tout du long au chat et à la souris (une fois devant, une fois derrière), Freddy Thévenin, la star locale, finira par craquer dans la toute dernière portion, les dix derniers kilomètres, pour même se faire reprendre du coup par ceux de l’autre groupe qui n’ont jamais été bien loin. Ainsi Pascal Blanc signe avec sa deuxième place son meilleur Grand raid et Didier Mussard, toujours à l’affût, réussit finalement à monter sur le podium. Antoine Guillon venant mourir au pied celui-ci. Chez les féminines, les choses sont plus claires encore. Emilie Lecomte, après sa saison quasi-parfaite, prend d’emblée les choses en main. Elle se détache un peu après le Volcan, mais finalement dans la montée du Piton des Neiges, Karine Herry qui connaît fort bien l’endroit, réussit à recoller et même à prendre la tête… Elle ne cessera dès lors de creuser l’écart, se classant même 22ème au scratch. Emilie, elle, abandonnera un peu plus loin…Hélène Haegel et Christine Bénard complète le podium… Cette année donc, et pour la première fois, la barre des 50% d’abandons a été franchie. Est-ce un signe ? « Non, non » vous répondront les organisateurs. Après tout tant qu’il y en a quelques-uns qui y arrivent… C’est ça la Diagonale des Fous. N’est pas fou qui veut en fait !

 

R.J.



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