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Le 28 novembre 2010

LES PHOTOS DU 20EME MARATHON DE LA ROCHELLE - SERGE VIGOT 2010 (8)


(28/11/2010)

8/11/2010 Courrier Sud au Maroc (Chap. 4 et fin)

« S’il vous plait… dessine moi un mouton… »

Antoine de Saint-Exupéry fit son service militaire à Strasbourg, dans l’armée de l’air. Il apprit alors à piloter et  sa carrière fut ainsi tracée. Il entre ensuite comme pilote dans une société chargée d’acheminer le courrier de Toulouse à Dakar. Il est nommé chef d’escale à Cap Juby, plage de Tarfaya, dans le sud marocain. C’est à cette époque (1929), qu’il écrivit son premier bouquin : « Courrier Sud ». C’est donc ici le trésor : L’as-tu cherché ? Sur cette vague de dune, les bras en croix, les yeux rivés vers le ciel d’un noir d’encre, je scrute la lune et les villages d’étoiles. La voie lactée offre avec netteté ses constellations infinies. Il fait doux. Le bivouac s’éteint peu à peu. Repus, sous chaque tente bédouine, les concurrents du raid, harassés par leur journée d’effort plongent quelques courtes heures dans un sommeil récupérateur. Ici, le silence s’écoute, il suffit de lui tendre l’oreille. Une étoile file, je ferme les yeux, mon imagination déborde, il était revenu. Un enfant se pencha sur moi. Il était apprêté comme un « skieur du désert » et me dit : S’il te plait, « dessine moi un mouton»... L’enfant avait tout juste seize ans, il me dit venir de Chamonix, s’être inscrit sur le raid avec ses amis, une vingtaine de ses semblables, répartis en quatre équipes, tous emportés à leur âge par la curiosité et le besoin de découvrir le monde, de tester leurs limites, de donner le meilleur d’eux-mêmes, de voir ce qu’est l’autre et comment est l’ailleurs. Nos enfants deviennent ainsi des hommes. Au travers du raid, en traversant les contrées sauvages, le Maroc s’offre à eux, différent, surprenant. Un monde différent de celui qu’ils ont jusqu’ici toujours connu. L’équipe pédagogique EPS du lycée Mont Blanc, au Fayet, incite chaque année une poignée d’élèves à s’investir dans un tel projet, de longue haleine. La recherche de sponsors, du financement adéquat, la préparation physique, l’engagement, le voyage dans une contrée inconnue, les efforts à fournir pendant six jours ne les rebutent guère. Certes, certaines équipes peinent au final. L’épreuve est difficile et se mérite. « Fennecs », « Pois chiche », « Scorpions roses ». Parcourir à pied ou en vélo, chaque jour, sur le sol rocailleux et sous un ciel de braise, des distances effarantes pour des gamins de leur âge amène la majorité d’entre eux à pousser leurs limites dans les derniers retranchements. Les enfants se démènent, se dépassent. Méritoires, tous finiront l’épreuve. Les « skieurs du désert », nés sportifs, s’arrachent dans les premières étapes, les courses d’orientation leur conviennent bien et deux d’entre eux s’échappent en bons grimpeurs dans l’unique spéciale VTT de montagne, sur les versants de l’Anti-Atlas. Mille mètres de dénivelé au travers des cailloux, des cactus, de la terre ocre. Vainqueurs d’étape. Etre si jeune,  encore si juvénile et déjà côtoyer les plus grands. Quelques épouvantails dans le désert. Surprenants, impétueux adolescents, les « skieurs du désert » seront craints de tous ceux qui briguèrent jusqu’à la ligne d’arrivée le classement général. Le raid est long. Six jours de spéciales enchainées. Une équipe, cinq coureurs, un seul esprit, commun, solidaire, dévoué au service de ses partenaires, au service de tous. Un état d’esprit que préconisait l’œuvre de Saint-Ex. Tantôt en vélo, tantôt en course à pied, les relais acheminent petit à petit les concurrents d’Agadir à Tarfaya, au sud du Maroc. Quelques six cents kilomètres de pistes à travers le désert. Calés tour à tour derrière les participants, les 4x4, alloués à chaque équipe, suivent, attentifs, bienveillants. Chaque voiture suit son protégé. Il fait chaud. Par les fenêtres, les bouteilles d’eau se tendent, aux uns, aux autres, indépendamment de l’adversité. Tous unis dans l’effort. Boire régulièrement reste une priorité, s’asperger une nécessité. Certes, les différents coureurs sont censés évoluer en autonomie, la marée chaussée organisatrice veille et ne plaisante guère avec la sécurité. Justifié. Les pénalités infligées aux coureurs sans camel-back pleuvent. Il faut savoir rester rigoureux. Les équipes inscrites venues d’Alsace le sont d’ailleurs plus particulièrement, ce n’est pas un cliché. Qui pourrait être plus rigoureux qu’un Alsacien ? Une qualité qui prime dans ce type d’épreuve. De son passage sur la planète Alsace, le Petit Prince nous narra que le raid était né là-bas. Les premières éditions, il y a quinze ans, partaient de Strasbourg, comme le fit à son époque son père Antoine de Saint-Exupéry. « Trotteurs du désert », « Objets retrouvés », « Cigognes de l’Ibal », toutes ces équipes engagées donnent aussi le meilleur d’eux-mêmes. Tous logés dans la même dune. Si l’un voit sa cheville immobilisée et sa course terminer trop tôt, forfait, l’autre a les voûtes plantaires brûlées par l’échauffement du sable. Le dernier est pris au détour de lacets descendants de violentes crampes au terme d’une étape cycliste, une autre équipe se démène avec un chauffeur de tacot déboussolé. D’autres s’effraient vite d’être gagnés par la nuit, perdus en plein désert avant même d’en sortir et de retrouver, sur l’unique route qui longe la côte, le chemin du bivouac. Tous gardèrent le sourire et, au-delà des déboires qui pimentèrent l’épreuve un bon esprit de convivialité. Salamalikoum. Sur la planète Maroc, Les jeunes autochtones, fussent-ils aussi princes du sable, n’évoluent guère plus aisément. Issus de milieux extrêmement défavorisés, principalement des banlieues d’Agadir, de jeunes Marocains sont venus, managés par leur académie, rêvant de briller. Un challenge pour beaucoup d’entre eux. Les meilleurs se verront au terme de l’épreuve dotés par leurs instances et par l’association Cap Juby chapeautée par l’organisation du raid elle-même, de subventions pour poursuivre le sport et les études. Les qualités athlétiques naturelles des Marocains en lice en font de redoutables concurrents, surtout en course à pied. Plusieurs d’entre eux descendent communément sous la barre des trente minutes pour parcourir dix kilomètres. Un avion passe, soulevant à peine quelques volutes de sable. Sur les VTT, leurs équipiers ne déméritent pas. Seule l’orientation à la boussole ou la lecture du road book  sont parfois sources de points d’ombre, abandonnant les athlètes par delà les dunes, les laissant s’évertuer à courir dans tous les sens, aléatoirement, au petit bonheur la chance, pour découvrir une à une les balises requises. Inch’Allah. La communauté marocaine brille d’abord par les regards pétillants de ses enfants bravant les efforts. Si, sur le papier, les Marocains sont les plus forts, les erreurs d’orientation de course commises ne leur permettent pas de creuser de jour en jour un écart irrémédiable au classement général. Le suspense demeure. Les déconvenues ne découragent personne, invitent à l’humilité, à la modestie, au fair-play. Exemplaires. Tout au long du raid, Marocains et Européens se côtoient, s’unissent, échangent, se mettent mutuellement au service les uns des autres. Pour nous autres, occidentaux si souvent imbus de notre personne, la découverte et l’immersion sablonneuse dans une autre culture nous laisse bien souvent pantois, nous invite à réfléchir à nos propres conditions. Ces gens sont fabuleux. Au-delà de leurs qualités sportives, leur gentillesse prime. Et même si, au terme du raid, Yallah ! Yallah ! « Tarfaya » remporte l’épreuve devant « Massera », confirmant une bonne fois pour toutes sur les derniers relais l’hégémonie des équipes locales, si « Sahara » et « Cap Juby » finissent aussi dans la première partie du plateau, la leçon inconsciemment donnée par ces équipes ne résidera pas sur ces seuls faits de course. Belle humanité. It’s a kind of Majid, Magique, Majid! Il y a des gens comme çà, au sein du raid, que l’on ne pourra oublier, tant leur personnalité marque l’aventure, l’entourage, l’équipe. Majid vit en France, à Saintes Marie de la mer, aux confins de la Camargue. Issu de l’immigration marocaine, il a grandi en Gaule, aime la France et son cœur est resté marocain. De toute façon, le regard sur la vie affiché par l’olibrius reste clairvoyant, juste, doté d’une grande philosophie et pour cela, on se fout pas mal des origines. Maniant aussi bien la langue arabe que celle de Pagnol, avec la même verve, le même accent et les mêmes gestes que l’illustre Raimu, notre ami restaurateur, père de trois enfants à quarante quatre ans, a derrière lui plus d’une galère. Inscrit de sa propre initiative seul sur le raid, peu enclin au sport en compétition, Majid est bien plus attiré par l’aventure sur ses terres ancestrales que par le résultat sportif. Qu’importe. L’équipe “Dessine moi un mouton” dans laquelle il fut intégré était ainsi composée de personnalités différentes et éclectiques, mi française, mi marocaine. Par son bilinguisme et son humour décapant, Majid en fédéra les membres, amusant d’abord les uns en français, pliant en deux et en berbère les seconds. L’osmose prit. Pour nos garçons, éblouis autant par la tchatche du meneur d’homme que  par son engagement propre lors des plus grands efforts requis sur le raid, le souvenir de Majid restera impérissable. Celui d’un grand comique qui privilégie le rire à la performance, de la grande Zora promenant son chinchilla au grand Zorro enfourchant son Tornado de vélo, Majid a  amusé unanimement son entourage une semaine durant, les faisant rire jusqu’aux larmes. Qu’importe la gagne, tout ce petit monde s’est bien marré. Le raid, c’est aussi çà, la découverte de gens de valeur qui rendent l’aventure encore plus attachante, plus passionnante, humaine. Pendant la seconde guerre mondiale, Antoine de Saint-Exupéry fut aussi pilote de guerre. Un capitaine aux valeurs humaines incontournables que l’Armée de l’air continue d’encenser, de promulguer, d’enseigner à ses jeunes officiers de réserve. L’équipe des « Aviateurs » fait partie de ceux-là. Cinq jeunes de vingt-deux à vingt cinq ans, tous matheux de formation, des tronches, tous inscrits à l’école de l’air de Salons de Provence. De futurs pilotes de chasse. Un avion passe, le mur du son fait trembler la dune. Au cœur du 4x4, l’esprit d’équipe reste appliqué, discipliné, méthodique, fait corps. Tous unis dans la bagarre. « En visuel, à dix heures, sur la crête, l’arrivée du relais…, j’y cours…» Les cinq gars sont méga-entraînés. Et pour eux, les courses d’orientation restent des jeux d’enfants. Tanguy et Laverdure ne sont pas là pour donner dans la dentelle. L’équipe brille et se distingue, rivalise au classement général avec les Marocains, engrangeant à son tour les points quand leurs adversaires pêchent à la boussole. « Les aviateurs » termineront à Tarfaya sur la troisième marche du podium. Quand, au bout d’une semaine de raid et de bivouacs dans le désert, chaque membre de l’expédition affichait une mine burinée par le soleil, des lèvres gercées et une barbe de huit jours, nos valeureux bidasses se présentèrent à la remise des prix face aux hôtes, édiles de Tarfaya, rasés de près, en uniforme, le calot rivé sur la tête, tirés à quatre épingles. En rang et au garde à vous, ils firent observer une minute de silence à la mémoire des pilotes de l’aéropostale tombés dans l’exercice de leur fonction, remirent au caïd une stèle officielle commémorative que l’on pourra sans doute désormais admirer au musée local de Saint-Exupéry et offrirent aux instances locales des équipements et des vêtements sportifs. Des militaires comme on les aime. Tarfaya, sud du Maroc, ville de lumière, sur les rivages de l’Atlantique. L’aérodrome en bout de plage tant usité pour les escales de l’aéropostale est laissé à l’abandon. Antoine de Saint-Exupéry ici a marqué les esprits. Après six jours de course, le raid Courrier Sud qui commémore l’auteur trouve ici son terme. En apothéose. La ville entière assiste à cet événement. Des athlètes locaux se joignent au dernier relais de la course, d’abord sur la plage, puis symboliquement sur l’aérodrome, et enfin au travers des rues de la ville. Les éclats de lumière sont éblouissants, les couleurs chatoyantes. La population locale, hommes frêles en djellabas, femmes voilées aux robes longues diaprées, enfants aux regards brillants, a envahi les trottoirs. Le cortège final et la caravane passent. Toutes les équipes, encore en lutte défilent intégralement. Pour fêter l’événement au-delà de leur arrivée, une fanfare et des courses d’enfants animent la manifestation. Quel engagement de la part de ces enfants qui traversent leur ville en courant pieds nus, s’arrachant les uns des autres pour terminer en tête, impressionner les gens du raid, ou Olivier d’Agay le neveu d’Antoine de Saint-Exupéry, directeur de la fondation du même nom  rendu expressément sur place pour honorer l’événement.  Ou est-ce  pour avoir la reconnaissance de Monsieur leur gouverneur, spectateur privilégié de toute la manifestation locale. - Attention, Alain pour François ? Oui, François, j’écoute… L’organisation de la douzième édition du raid Courrier Sud est toujours restée à pied d’œuvre, attentive, rassurante, bienveillante, équitable, impartiale. Une aventure humaine qui défie les hommes tout en les rapprochant. Des hommes au service d’autres hommes pour humaniser la planète. Colossale orga. Imaginez le travail que représente la responsabilité de lâcher cent quarante personnes pour la plupart néophytes, issus de mondes si différents, sur les pistes du désert et d’en assurer la sécurité. Des centaines de kilomètres de piste répertoriés en road books, des bivouacs suffisants pour assurer couchage et repas pour chacun, une  équipe dévolue aux balisages, une autre aux chronométrages, une autre encore composée d’un personnel médical, et j’en passe... Le petit Prince vous parlerait de sa rencontre avec la meilleure équipe, celle de François Laurent, de son frère, de ses sœurs, des conjoints, des amis, des conjoints d’amis, de tous ceux qui collaborent, bénévolement, à la réussite du raid. Vivre cette aventure hors normes et adhérer aux valeurs qu’elle distille reste une des plus belles expériences que peut nous réserver la vie. Retenez-le et faites passer. En toute objectivité, vous gagneriez vous aussi à vivre ce raid.

 
Texte de Brice de Singo (bricero@laposte.net)

(09/11/2010)